Lana Lubany en Interview Dix-Moi : Représentation, multiculturalisme, TikTok…

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C'est la popstar à suivre en 2025, et nous l'avons rencontrée pour vous la faire découvrir : Lana Lubany nous parle de son nouvel EP, de l'importance de la représentation, ou encore de son héritage multiculturel.

Nous l'avions découverte en 2022 avec le morceau viral "THE SNAKE", qui lui avait valu des comparaisons avec les plus grands innovateurs de la pop. Deux ans plus tard, Lana Lubany est une des grandes têtes de la nouvelle vague de pop orientale qui s'empare des classements mondiaux, laissant présager une mode dans les mois à venir… C'est dans les locaux de Sony Music à Paris que nous avons rencontré la chanteuse, le lendemain de son concert complet au Hasard Ludique. 

Lana Lubany, l’Interview Dix-Moi :

1 – Tu viens de sortir ton nouvel EP intitulé YAFA. Premièrement, d'où t'es venu ce nom pour le projet ? Et de quoi parle-t-il ? 

Yafa (Jaffa en français, NDLR), c’est le nom de ma ville natale (située dans le district de Tel-Aviv, ndlr), celle dans laquelle j’ai grandi. C’est évidemment très spécial pour moi car c’est ma maison, elle représente toute mon enfance, ma famille, mon confort… J'ai même incorporé la voix de ma grand-mère dans une chanson, pour rajouter une touche autobiographique et intime. Je tenais vraiment à écrire des chansons qui peuvent être personnelles pour moi, mais qui n'empêchent pas ceux qui écoutent de s'y retrouver.

Niveau thématique, j'ai essentiellement écrit sur quelque chose que je ressens très souvent, et je sais que je ne suis pas la seule : la sensation de n'appartenir à rien. Chez moi, c'est apparu en grandissant, et je me posais énormément de questions sur mon identité… C'est un combat que je mène depuis pas mal de temps et ce n'est qu'il y a quelques années que j’ai appris à m'accepter. Cette acceptation a coïncidé avec la création de mon premier single en arabe et en anglais, "THE SNAKE", car c'est là que j'ai appris à accepter mon multiculturalisme et à l’exploiter dans mon art. 

J'ai quasiment tout écrit avec Ben Thompson, c'est également lui qui était chargé de la production… Il est extrêmement talentueux, il écrit et joue de la guitare comme un Dieu. 

2 – Il me semble que tu vis actuellement à Londres, c'est bien cela…? Tu as des origines américaines et arabes, alors je me demandais comment cette multiculturalité que tu mentionnais un peu plus tôt influence le son Lana Lubany ? J'ai cru comprendre que tu as grandi en Palestine, puis tu as emménagé à Londres pour étudier…

C'était bien le cas, cependant aujourd'hui je vis dans les hôtels… (rires) Je vis partout ! 

Il est clair que j'ai grandi avec plein d'influences autour de moi. La musique arabe était constamment présente autour de moi, je l'entendais lors de sorties mais aussi lors de repas de famille lorsqu'on se mettait à chanter des chants folkloriques tout en jouant du oud (instrument iranien de la famille des cordes, ndlr). En parallèle, je consommais beaucoup de musique occidentale, pas mal de pop music… surtout Disney Channel, tu sais ? (rires) Donc j'étais pas mal influencée par les médias autour de moi, mais aussi par ma grand-mère qui venait de New-Jersey (État du Nord-Est des États-Unis, NDLR). C'est elle qui m'a fait découvrir le jazz, la folk américaine, les comédies musicales qu'elle nous chantait tout le temps… Il y avait un peu de temps ! 

3 – Si tu devais nommer tes trois plus grandes inspirations, qui seraient-elles…? 

Oh la la, question très compliquée… (rires) C'est trop dur d'en choisir que trois car j'ai l'impression d'avoir puisé chez tellement d'artistes à la fois, et tous ont des pattes différentes… Mais s'il faut vraiment choisir, je dirais premièrement Fairuz, qui est une chanteuse libanaise avec des chansons et une voix magnifiques ! Ma mère avait l'habitude de mettre ses chansons dans la voiture lorsqu'elle nous emmenait à l'école, parce qu'elle a vraiment ce genre de chansons parfaites pour se mettre sur pattes et commencer sa journée… J'associe ses chansons à l'odeur du café, et au matin ! 

Ensuite… [regarde vers sa sœur] Qui est-ce que tu dirais, toi ? 

  • En tant qu'inspiration ? Kanye, je pense…

Non, je ne dirais pas… 

  • Rosalía ? 

Oh oui, j'adore Rosalía. C'est une artiste incroyable, une visionnaire ! 

Et sinon, même si ça fait longtemps que je n'ai pas écouté de jazz, j'adore Billie HolidayElla Fitzgerald aussi, j'étais obsédée par elles en grandissant. 

4 – Tu chantes souvent en alternant l'anglais et l'arabe. C'était une évidence, de chanter en anglais ? C'est essentiel pour percer à l'international de nos jours ?

En effet, j'ai grandi en parlant les deux langues, mais il faut admettre qu'au fil du temps l'anglais a pris le dessus sur l'arabe… Ça s'est fait naturellement, et je pense que tous les enfants bilingues me comprennent. Mais le choix de chanter en arabe s'est fait tout naturellement parce que, lorsque j'étais plus petite, je n'avais pas vraiment de représentation de chanteuses qui me ressemblent sur la scène internationale, alors cela m'a semblé logique de me lancer en anglais si je voulais prétendre à une carrière à grande échelle. Mes idoles d'enfance, c'était Ariana Grande, Selena Gomez, et c'est tout naturellement que j'ai commencé à chanter en anglais car je pensais que c'était un des critères à remplir pour prétendre à une carrière internationale. 

5 – Justement, j'aimerais que l'on parle un peu de ce manque de représentation que tu dis avoir ressenti très tôt dans les médias mainstream. Est-ce que tu dirais que tu as ressenti la responsabilité de devenir cette représentation positive de la différence pour les générations futures ? 

Cela n'a jamais été mon intention de base, mais je crois que je commence à le devenir actuellement. Peut-être que je l'ai fait inconsciemment, mais c'est le fait que j'ai accepté mes origines et ma différence qui a fait que les auditeurs se sont retrouvés dans ma musique. Je ne me suis jamais lancé dans la musique avec la prérogative de combler un vide mais, avec le recul, je réalise que j’aurais dû. C’est logique, mais très probablement que sur le moment cela se déroule si naturellement que l'on ne réalise pas encore. 

J’ai l’impression que lorsque vous obtenez la validation des awards, c’est là que vous commencez à ressentir la pression d'en obtenir toujours plus !

6 – Est-ce que cela demande du courage d'être son propre modèle de popstar plutôt que de s'assimiler à ce qui se fait en occident ? 

Absolument ! Et tu sais quoi ? Je pense que Billie Eilish a fait beaucoup pour cette nouvelle génération de stars de la pop car j’ai l’impression qu’elle était elle-même, sans aucun complexe. Je pense qu’elle a ouvert des portes pour que la musique soit un peu plus authentique, en encourageant des artistes à s'affirmer sans peur de perdre leur succès ou leur exposition. L'industrie musicale peut souvent nous donner la sensation que si nous sommes spéciaux, nous ne sommes pas assez intéressants, mais bien au contraire ! Et le fait que je n’étais pas à fond dans l’industrie musicale, cela était à mon avantage car à mes débuts je n'avais pas d'équipe qui me dise quoi faire – je disais "merde" à tout et faisais ce que je voulais faire.


Avant de sortir "THE SNAKE", beaucoup de professionnels de l'industrie étaient très hypés, mais d'autres le sentaient moins car ils ne pensaient pas qu'il y aurait un public pour ce genre de musique. Et avec le recul je pense que si j'avais écouté ces avis, je n'en serais pas là où j'en suis aujourd’hui. 

7 – Et j'ai l'impression que cette prise de risque a payé car aujourd'hui, ⁠tu as été nommée artiste à suivre par plusieurs publications prestigieuses comme Pitchfork, NME et même le comité des Grammy Awards. Le Guardian a dit à ton sujet : « Lana Lubany semble prête à faire pour la pop arabe ce que Rosalía a fait pour le flamenco ». Comment tu réagis à cette déclaration ? C'est un honneur ? Ça met la pression ?

C’est une grande déclaration. Je suis très flattée qu’ils aient dit ça, et j'adorerais que ça devienne une réalité. J’aimerais le faire à ma façon, évidemment, et je cherche toujours la meilleure façon d'infuser la pop contemporaine d'influences orientales.

Et bien évidemment que je souhaite gagner des récompenses pour mon travail acharné et tout ça, mais d'un autre côté, ce que j’ai réalisé l’année dernière c’est que je suis là pour l’art. Tout ce qui vient avec n’est qu’un bonus.
C’est un plus. Je suis en train de changer d'état d’esprit pour intégrer le fait que je n'ai pas besoin de cette validation pour être épanouie. En fait, j’ai l’impression que lorsque vous obtenez une certaine validation de l’industrie, c’est là que vous commencez à ressentir la pression d'en obtenir toujours plus. Et les prix comme ça, ça ne dépend pas de vous. C’est le reflet du goût des autres, ce sont des circonstances, c’est de la compétition aussi parce qu'il y en a plein d'autres qui méritent tout autant.
Il y a tellement de choses qui entrent en compte alors, au lieu de ressentir la pression, je ressens juste de l’amour et de la reconnaissance lorsque ça m'arrive. 

L'industrie musicale peut souvent nous donner la sensation que si nous sommes spéciaux, nous ne sommes pas assez intéressants, mais bien au contraire !

8 –  ⁠Il y a deux ans, tu as connu ton premier moment viral sur TikTok grâce au morceau « THE SNAKE ». Es-tu d'accord pour dire que cette application a aidé ta carrière ? Et que penses-tu de son impact sur l'industrie musicale plus généralement ?

En ce qui me concerne, cela m’a aidé. TikTok est vraiment un réseau étrange, mais il m’a donné une carrière. Il m’a offert une véritable plateforme, à moi qui n’avait pas d’équipe, qui n’avait pas de relations, qui n’avait rien de tout cela. C’est un outil que j’ai utilisé et que j’utilise encore aujourd’hui. À la seule différence qu'aujourd'hui j'ai un rapport beaucoup plus sain avec cette application, mais avant j'en tirais de la validation et c'était toxique. 

Je pense que TikTok est une arme à double tranchant, parce qu’il donne aux artistes indépendants une plateforme, mais d’un autre côté en ouvrant la porte à plein de monde j'ai l'impression que l'art perd de son prestige.
Il y a également beaucoup de contenu à consommer sur cette application, et j’ai l’impression qu’en tant qu'artistes on a du mal à fidéliser un public car ce dernier cherche toujours du neuf à écouter. Aujourd'hui, il faut travailler dix fois plus dur pour maintenir l'attention du public, s'assurer qu'on ne vous oublie pas car tout le monde passe très facilement à autre chose… en plus d'être esclaves d'un algorithme. En plus de ça, les gens écoutent de moins en moins l'intégralité des chansons – ils connaissent un refrain qui dure vingt secondes, et puis c'est tout…

9 – J'ai vu que tu es récemment partie en tournée avec Saint Levant, et à la rédaction nous adorons découvrir de nouveaux artistes ! Peux tu nous recommander d'autres chanteurs de pop arabe qu'on devrait absolument écouter ?

Oh, alors vous devez écouter Zeyne, elle est vraiment incroyable ! Il y a aussi Lina Makoul, qui chante actuellement en première partie de Saint Levant. Je pense également à Marwan Moussa, le rappeur égyptien. 

10 – Avant de se quitter, est-ce qu'il y a des artistes français avec lesquels tu aimerais collaborer ? Ou peut-être est-ce que tu pourrais faire une chanson en français et en arabe ? Nous avons une grande communauté arabe en France…

Oh la la, j'en parlais justement hier ! J'adorerais collaborer avec un français, surtout avec un rappeur ! Sinon, j'adore Lolo Zouaï ! Elle est incroyable.

Sinon, j'adorerais chanter en français… Je ne sais pas parler français, mais en général je me débrouille pas mal en ce qui est des langues étrangères donc je pense que ça pourrait vraiment donner quelque chose de sympa !

Découvrez le nouvel EP de Lana Lubany – YAFA :

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